Coup de com’ ou vraie décision politique ? Lundi, le président du Conseil général des Alpes-Maritimes Eric Ciotti a annoncé une mesure inédite en France: «j’ai décidé de procéder à la radiation d’un allocataire du RSA identifié comme étant parti en Syrie pour combattre dans les rangs de l’Etat islamique».
Pour mettre en œuvre sa décision, il s’appuie sur un cadre juridique bien précis. En effet, une des conditions essentielles pour pouvoir toucher le RSA est de «résider en France de manière stable et effective». L’article R.262-5 du Code d’action sociale et des familles précise ce critère: une résidence stable et effective signifie une résidence permanente. La personne qui touche le RSA peut accomplir hors de France un ou plusieurs séjours «dont la durée de date à date ou la durée totale par année civile n’excède pas trois mois». Normalement, le département aurait donc dû attendre trois mois après le départ de la personne pour la Syrie avant de la suspendre ou la radier. Mais pour Eric Ciotti, il était hors de question de donner un centime de plus à des «terroristes». «Les personnes parties à l’étranger dans la perspective de mener une guerre aux côtés d’un état terroriste n’ont pas vocation à continuer à bénéficier de la solidarité nationale» a-t-il argumenté.
Il a donc mis en avant un récent avis du Conseil d’Etat pour élargir les critères d’appréciation de la condition de résidence stable ou effective. Celui-ci précise en effet qu’«il y a lieu de tenir compte de son logement, de ses activités ainsi que de toutes circonstances particulières relatives à sa situation, parmi lesquelles le nombre, les motifs et la durée d’éventuels séjours à l’étranger et ses liens personnels et familiaux».
«La décision de M. Ciotti paraît à la fois légitime et légale»
Pour Virginie Ribeiro, avocate spécialiste du RSA, la décision du député parait tout à fait fondée juridiquement. «Dans le cadre du contexte actuel, et étant donné la gravité d’un départ pour la Syrie, la décision de M. Ciotti paraît à la fois légitime et légale car elle a pour objectif le maintien de l’ordre public».
Faut-il, dans ce cas, faire une loi pour généraliser la suppression des allocations aux djihadistes partis en Syrie? «Ce n’est pas nécessaire. Je pense que la décision de M. Ciotti sera suivie», estime Virginie Ribeiro. «L’article du CASF, combiné à la jurisprudence du Conseil d’Etat, me paraissent suffisants. On peut bien sûr envisager que la personne en question intente un recours devant le tribunal administratif à son retour de Syrie, mais étant donné les circonstances, il y a peu de chances que sa plainte soit entendue».
Théoriquement, la décision d’Eric Ciotti pourrait donc être appliquée dans tous les départements. Mais pratiquement, une difficulté subsiste: les noms des personnes parties en Syrie ne sont ni forcément connus, ni, quand c’est le cas, communiqués aux conseils généraux.
Le député Alain Marsaud (UMP) a déposé le 10 octobre dernier avec Thierry Mariani une résolution à l’Assemblée nationale pour la «création d’une commission d’enquête aux abus de versements des prestations sociales aux Français ayant quitté le territoire dans le but de participer au djihad». Selon lui, il avait déjà prévenu le ministre de l’Intérieur Manuel Valls au mois de juin qui «ignorait totalement le sujet».
Croiser les fichiers de la CAF avec ceux des renseignements
«J’ai pris contact avec des directeurs de Caf [Caisse d’allocations familiales]qui m’ont confirmé qu’en effet certaines personnes continuaient à recevoir des allocations alors qu’elles étaient parties pour la Syrie. Ainsi un couple recevait 2200 euros par mois pour partir faire le djihad aux frais de la République!», assure le député UMP. Selon lui, les personnes concernées établissent des procurations à des tiers qui touchent l’argent en numéraire puis les renvoient aux personnes dans les pays d’accueil.
Mais, comme les conseils généraux, la CAF n’a pas connaissance des noms des personnes parties pour le djihad. Alain Marsaud demande donc qu’«il soit possible de croiser des fichiers des caisses d’allocations avec ceux des services de sécurité». Pour l’instant ce n’est pas possible, «sous prétexte d’attaque aux libertés individuelles», déplore-t-il. Il propose également d’allouer «davantage de moyens aux Caisses d’allocations familiales afin que les versements d’indemnités de toutes sortes à ces individus puissent être rapidement stoppés».
D’après M. Marsaud, plusieurs centaines de personnes seraient concernées «Tous les gens qui sont partis là-bas sont plus ou moins allocataires, le temps qu’on s’en aperçoive, ils ont déjà touché plusieurs mois, c’est de l’argent qui va directement dans la poche de terroristes! Je dis donc bravo à M. Ciotti et j’invite tous les présidents de conseils généraux soucieux du bien public à suivre son exemple». Il s’étonne d’ailleurs que son projet de résolution «n’ait pour l’instant reçu aucun soutien ni encouragement du groupe UMP à l’Assemblée».
Eugénie Bastié
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